Dans sa langue maternelle, son deuxième prénom est symbole d’espérance. Il souffle les aventures d’une artiste qui met des pansements sur ses bobos avec des mots : Sheng.
C’est sous ce nom qu’elle s’est lancée dans la grande machine en 2019, portée par des lignes candides et espiègles. Au rythme de ses chansons faites de boom boom musique, en français ponctué de mandarin, la Franco-Chinoise a installé ses paysages d’émotions qui racontent le quotidien d’une jeune femme de 24 ans.
Et entre les tristesses et les joies qui craquent sous les faux ongles, Sheng livre aujourd’hui son premier album. Entourée du producteur Medeline et des musiciens Honnoj 304 et HOK, elle a planché durant un an et demi sur 14 titres (dont un remix) qui racontent l’intime et les désirs.
J’SUIS PAS CELLE 非你所想 « Quand j’étais petite, ma mère m’a emmenée à un concours de chant et je refusais de poser le micro, si bien que la sécu est venue me chercher. » La conversation démarre sur des souvenirs. Sheng se rappelle les karaokés, les leçons de piano, la découverte du rap à la fac. Elle a les yeux qui pétillent et ces rires qui rythment les échanges. Elle poursuit : « Après ça, j’ai développé une grande timidité. Et j’étais incapable de chanter devant les autres jusqu’à mes 18 ans. »
Nous sommes en 2018. Sheng, étudiante en histoire et sciences politiques à Paris, se découvre une passion pour les freestyles avec un groupe de potes. Elle se met à écrire des 16 mesures qu’elle pose sur Instagram et pense ses premières chansons. « Après ça, je suis allée en studio et j’ai entendu ma voix dans un micro. J’ai aussi découvert l’autotune et ça a été une révélation ! »
La musique, jusqu’ici oubliée, devient un élément central dans sa vie. Sheng se consacre un peu plus à cette passion qu’elle envisage comme un métier. « En 2022, j’ai signé sur le label Syndicate Records. J’ai eu plus de moyens et j’ai commencé à taffer ma musique sous la forme de projets. »
BOUM BOUM BOUM 啵啵啵 Sheng s’embarque dans le grand tourbillon des explorations sonores. En marge d’un double Master en Relations internationales, elle pense deux EPs. Enfant Terrible 魔孩, qui raconte ses premiers émois amoureux en 2022 ; suivi de DI YU 地狱 – pour le royaume des morts dans la mythologie chinoise – en 2023. Sur cet EP aux allures de parcours initiatique, la rappeuse affine son style. Elle propose un univers plus cohérent, sombre et planant. « J’ai senti que je commençais vraiment à me trouver. Même si je me vois toujours comme une artiste en construction », précise-t-elle. Sheng fait aussi ses premiers pas sur scène et comprend l’intérêt de faire une musique plus joyeuse. Elle se confie : « sur mes premières dates, c’était très dur. Je n’étais pas très à l’aise. J’avais tellement de stress et d’anxiété. Mais les gens étaient vraiment trop cool. Le public t’apporte énormément. »
Alors, c’est en pensant à ce public et à tout ce qu’elle aimerait leur dire que Sheng se lance dans la réalisation de son premier album. Les études sont finies, elle part en séminaire près de la mer et enlève les couches de vernis.
CROCS & CRITÈRES 狼牙特质 Sheng se montre bagarreuse et téméraire. Elle rappe sur des titres au BPM rapide comme « HOMME LIKE U 男人如你 », chante sur des ballades comme « FCK SCHOOL 拒学 ». Elle s’amuse sur des titres aux sonorités hyperpop, électro, pop rock… et trouve un sens à ce nouveau chapitre de son histoire. « Les femmes ont une plus grande autocensure. J’ai le sentiment qu’on veut toujours que ça soit parfait avant même de se lancer. Pourtant, c’est beau les imperfections. » Elle marque une pause et poursuit : « c’est le projet sur lequel je me montre la plus vulnérable. Je parle de mes angoisses, de ma mère, d’aimer les mecs et les meufs. C’est marrant parce que pendant très longtemps, quand je voulais dire une phrase un peu choc, je switchais en mandarin. J’ai arrêté de faire ça parce que je n’ai plus besoin de me cacher. »
Sheng n’a plus peur. Elle a toujours cette âme d’enfant terrible qui met des « croches-pattes dans la cour » et jette les « garçons à la poubelle », mais elle interroge aussi la société ou l’égalité des sexes.
Sheng a grandi. Elle se perd toujours dans l’ivresse et se retrouve encore sur la piste de danse ou dans les yeux de sa mère. Elle affirme son style, ses idées. Et dans ce premier album, on peut lire ses convictions féministes, sa colère et ses désirs qui grondent.